Chroniques
LA PLUME DU FAUCON
Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.
J'ai laissé passer ma chronique coup de gueule avant de m'étendre sur les relations intergénérationnelles. Vaste sujet s'il en est, d'autant que l'on souligne cette fracture entre les générations depuis longtemps, et ce, toute orientation sexuelle ou identité de genre confondues. Alors est-ce que les gais âgés sont plus susceptibles d'être coupés de la jeune génération gaie ? Oui et non, serait ma réponse...
Commençons par non. Non, parce que beaucoup de gais âgés ne se sont pas retirés du monde et continuent de s'activer, entre autres dans le milieu assso-ciatif LGBT ce qui leur permet d'être en contact avec la jeune génération, ou encore, ils ont conservé des relations avec leur famille et qu'ils côtoient leurs neveux et nièces, voire leurs petits-neveux et petites-nièces. Non, aussi parce que certains ne ressentent pas le besoin de maintenir des relations plus profondes avec des plus jeunes, avec qui ils se sentent de moins en moins connectés et qu'ils ne s'en portent pas plus mal. Comme dans le reste de la population
Pour le oui, maintenant. Les jeunes gais ne vivent plus dans un même contexte social que leurs aînés. Quand ceux-ci ont commencé leur vie, l'homosexualité était condamnée dans toutes les sphères de la société. Au-delà de quelques lieux de rencontres, bars, cabarets, saunas et parcs, le placard était à l'échelle d'une ville, d'une province, d'un pays. Il en va tout autrement pour les jeunes d'aujourd'hui. Selon les chiffres, ils font leur sortie du pla-card de plus en plus tôt, et la période de turbulence est, elle aussi, de plus en plus courte avant de s'assumer. Rares sont les jeunes, aujourd'hui, qui sont bannis de leur famille pour la vie. Rares sont ceux qui n'ont plus ou très peu de relations avec leurs frères et soeurs. Les jeunes nés au tournant du millénaire développent plus facilement des relations d'amitié avec leurs pairs hétéros, et au besoin, trouvent plus facilement du soutien et pas seulement de la part de groupes gais. Et c'est une bonne chose.
Cet état de fait, deux contextes d'envisager une vie gaie, peut expliquer aussi la fracture entre les gais aînés et les plus jeunes. Ces derniers ne peuvent se reconnaître dans les premiers ne partageant plus la même expé- rience de la sortie du placard et les mêmes appréhensions pour leur avenir qu'il soit social ou professionnel. Les plus jeunes trouvant dans leur milieu «naturel», la famille, les amis, l'école, des lieux de socialisation, ils sont moins enclins à faire leurs baluchons pour rejoindre les lieux spécifiquement gais des grandes villes. Et l'on peut se réjouir de cette intégration sociale de l'homosexualité. Mais on ne se bercera pas non plus d'illusions. L'homophobie, tout comme la transphobie, le sexisme, le racisme persiste, parfois brutale et bien plus souvent insidieusement.
Depuis quatre ans – un bail – je partage mon appartement avec une de mes nièces. Elle est venue étudier à Montréal à l'âge de 18 ans. Nous nous connaissions peu. Je l'avais vue en tout et pour tout que trois fois depuis sa naissance et le temps d'une réunion familiale. Et contrairement à mes appréhensions, je n'ai jamais eu à me censurer, à éluder certains sujets, à me comporter différemment de ce que je suis. Elle a très vite compris qu'elle pouvait parler de tout avec moi, de ses amours comme de ses aspirations dans la vie ou encore de sexualité. Et je suis étonné lorsqu'on me demande si ma vie n'est pas trop bouleversée par sa présence dans un lieu de vie. Non, bien au contraire, j'ai beaucoup de fun, quelques petites engueulades, je ne suis pas non plus toujours facile à vivre, mais en bout de ligne, la balance penche du bon côté. Il est vrai que nous avons des passions communes, la lecture, le théâtre, la musique... et la bonne bouffe. Nous avons des discussions enflammées sur des sujets qui n'ont souvent besoin que d'une étincelle pour déclarer un incendie. Bref, nous partageons. Comme je partage aussi avec un gai, qui est plus que jeune que moi de 29 ans. Suis-je alors un jeune attardé ou lui un vieux précoce ? Non, nous sommes tout simplement. avec nos différences dans le partage. Je ne sais ce que je lui apporte, il ne sait ce qu'il m'apporte. Mais nous savons que nous nous apportons beaucoup. Peut-être que nous avons ce désir, ce trait de caractère commun d'être ouvert à l'autre, aux autres.
J'ai des ami-e-s de tous âges des gais, des lesbiennes, des trans, des queers et des pas LGBTQ et des dont je ne sais même où ils se situent. Certains viennent de très loin, et de cultures bien éloignées de la mienne. Mais si la curiosité est là d'aller à la rencontre, la magie de l'amitié peut prendre, avec des degrés différents, avec parfois des éloignements, et des retrouvailles aussi. En somme, de ne pas laisser le temps et aussi la distance prendre un pouvoir trop grand sur nos relations.
Un leader de la communauté à l'aube de sa cinquantaine me disait que ce qu'il voulait partager avec les plus jeunes, c'était son expérience. J'avoue que ce discours m'échappe. L'expérience n'a de valeur que pour soi, et de vouloir la mômifier en petit guide à l'usage des plus jeunes me semble souvent relever plus du narcissisme que de la transmission. Encore faudrait-il avoir eu une vie tellement exceptionnelle et remarquable que l'on puisse en tirer quelques leçons à portée générale. Que l'on ne me fasse pas le coup de la fameuse sagesse des anciens, le prix de consolation à exhiber quand on est complètement hors jeu. Les aînés ont tout aussi à apprendre des plus jeunes s'ils se donnent la peine d'écouter et que l'expérience et la sagesse ne sont pas à sens unique. Je connais des jeunes remplis de sagesse, moins qui en ont un déficit. Mais peut-être que je considère n'avoir qu'à peine la moyenne à mon devoir de terrien, ce qui m'évite de croire que je peux jouer les mentors, les grands-frères, les pères de substitution, les guides, les gourous...
Je ne nie pas les écarts qui existent inhérents à l'âge. Mais avec les contraintes respectives propres aussi bien aux plus vieux qu'aux plus jeunes, il y a bien des espaces de rencontres, de partages et de possibilité de développer des relations dans lesquelles l'âge n'est plus un obstacle, dans lesquelles ne dessinent plus une relation hiérarchique généralement calquée sur le modèle familial, que je vois toujours comme l'ainé en position d'autorité et le plus jeune en position de soumission... sauf dans les relations sexuelles mais à une condition, que l'on puisse aussi en changer les rôles.
Par Denis-Daniel Boullé
Sur: www.fugues.com
Commençons par non. Non, parce que beaucoup de gais âgés ne se sont pas retirés du monde et continuent de s'activer, entre autres dans le milieu assso-ciatif LGBT ce qui leur permet d'être en contact avec la jeune génération, ou encore, ils ont conservé des relations avec leur famille et qu'ils côtoient leurs neveux et nièces, voire leurs petits-neveux et petites-nièces. Non, aussi parce que certains ne ressentent pas le besoin de maintenir des relations plus profondes avec des plus jeunes, avec qui ils se sentent de moins en moins connectés et qu'ils ne s'en portent pas plus mal. Comme dans le reste de la population
Pour le oui, maintenant. Les jeunes gais ne vivent plus dans un même contexte social que leurs aînés. Quand ceux-ci ont commencé leur vie, l'homosexualité était condamnée dans toutes les sphères de la société. Au-delà de quelques lieux de rencontres, bars, cabarets, saunas et parcs, le placard était à l'échelle d'une ville, d'une province, d'un pays. Il en va tout autrement pour les jeunes d'aujourd'hui. Selon les chiffres, ils font leur sortie du pla-card de plus en plus tôt, et la période de turbulence est, elle aussi, de plus en plus courte avant de s'assumer. Rares sont les jeunes, aujourd'hui, qui sont bannis de leur famille pour la vie. Rares sont ceux qui n'ont plus ou très peu de relations avec leurs frères et soeurs. Les jeunes nés au tournant du millénaire développent plus facilement des relations d'amitié avec leurs pairs hétéros, et au besoin, trouvent plus facilement du soutien et pas seulement de la part de groupes gais. Et c'est une bonne chose.
Cet état de fait, deux contextes d'envisager une vie gaie, peut expliquer aussi la fracture entre les gais aînés et les plus jeunes. Ces derniers ne peuvent se reconnaître dans les premiers ne partageant plus la même expé- rience de la sortie du placard et les mêmes appréhensions pour leur avenir qu'il soit social ou professionnel. Les plus jeunes trouvant dans leur milieu «naturel», la famille, les amis, l'école, des lieux de socialisation, ils sont moins enclins à faire leurs baluchons pour rejoindre les lieux spécifiquement gais des grandes villes. Et l'on peut se réjouir de cette intégration sociale de l'homosexualité. Mais on ne se bercera pas non plus d'illusions. L'homophobie, tout comme la transphobie, le sexisme, le racisme persiste, parfois brutale et bien plus souvent insidieusement.
Depuis quatre ans – un bail – je partage mon appartement avec une de mes nièces. Elle est venue étudier à Montréal à l'âge de 18 ans. Nous nous connaissions peu. Je l'avais vue en tout et pour tout que trois fois depuis sa naissance et le temps d'une réunion familiale. Et contrairement à mes appréhensions, je n'ai jamais eu à me censurer, à éluder certains sujets, à me comporter différemment de ce que je suis. Elle a très vite compris qu'elle pouvait parler de tout avec moi, de ses amours comme de ses aspirations dans la vie ou encore de sexualité. Et je suis étonné lorsqu'on me demande si ma vie n'est pas trop bouleversée par sa présence dans un lieu de vie. Non, bien au contraire, j'ai beaucoup de fun, quelques petites engueulades, je ne suis pas non plus toujours facile à vivre, mais en bout de ligne, la balance penche du bon côté. Il est vrai que nous avons des passions communes, la lecture, le théâtre, la musique... et la bonne bouffe. Nous avons des discussions enflammées sur des sujets qui n'ont souvent besoin que d'une étincelle pour déclarer un incendie. Bref, nous partageons. Comme je partage aussi avec un gai, qui est plus que jeune que moi de 29 ans. Suis-je alors un jeune attardé ou lui un vieux précoce ? Non, nous sommes tout simplement. avec nos différences dans le partage. Je ne sais ce que je lui apporte, il ne sait ce qu'il m'apporte. Mais nous savons que nous nous apportons beaucoup. Peut-être que nous avons ce désir, ce trait de caractère commun d'être ouvert à l'autre, aux autres.
J'ai des ami-e-s de tous âges des gais, des lesbiennes, des trans, des queers et des pas LGBTQ et des dont je ne sais même où ils se situent. Certains viennent de très loin, et de cultures bien éloignées de la mienne. Mais si la curiosité est là d'aller à la rencontre, la magie de l'amitié peut prendre, avec des degrés différents, avec parfois des éloignements, et des retrouvailles aussi. En somme, de ne pas laisser le temps et aussi la distance prendre un pouvoir trop grand sur nos relations.
Un leader de la communauté à l'aube de sa cinquantaine me disait que ce qu'il voulait partager avec les plus jeunes, c'était son expérience. J'avoue que ce discours m'échappe. L'expérience n'a de valeur que pour soi, et de vouloir la mômifier en petit guide à l'usage des plus jeunes me semble souvent relever plus du narcissisme que de la transmission. Encore faudrait-il avoir eu une vie tellement exceptionnelle et remarquable que l'on puisse en tirer quelques leçons à portée générale. Que l'on ne me fasse pas le coup de la fameuse sagesse des anciens, le prix de consolation à exhiber quand on est complètement hors jeu. Les aînés ont tout aussi à apprendre des plus jeunes s'ils se donnent la peine d'écouter et que l'expérience et la sagesse ne sont pas à sens unique. Je connais des jeunes remplis de sagesse, moins qui en ont un déficit. Mais peut-être que je considère n'avoir qu'à peine la moyenne à mon devoir de terrien, ce qui m'évite de croire que je peux jouer les mentors, les grands-frères, les pères de substitution, les guides, les gourous...
Je ne nie pas les écarts qui existent inhérents à l'âge. Mais avec les contraintes respectives propres aussi bien aux plus vieux qu'aux plus jeunes, il y a bien des espaces de rencontres, de partages et de possibilité de développer des relations dans lesquelles l'âge n'est plus un obstacle, dans lesquelles ne dessinent plus une relation hiérarchique généralement calquée sur le modèle familial, que je vois toujours comme l'ainé en position d'autorité et le plus jeune en position de soumission... sauf dans les relations sexuelles mais à une condition, que l'on puisse aussi en changer les rôles.
Par Denis-Daniel Boullé
Sur: www.fugues.com